Imprimer

Fallait-il s’y attendre ?

La France après avoir défendu âprement l’interdiction d’utilisation des néonicotinoïdes en Europe se trouve maintenant la première à demander une dérogation* pour que les producteurs de betteraves sucrières puissent à nouveau les utiliser en enrobage de semences. Paradoxe !

Les betteraves à sucre subissent des attaques de virus causant leurs jaunisses (voir page 371). Ces viroses sont vectorisées par des pucerons, dont celui du pêcher (puceron vert du pêcher), ce qui rend nécessaire la lutte insecticide précoce. Les méthodes de lutte alternatives seraient peu efficaces d’où cette demande de dérogation. La filière concernée insiste pour que cette dérogation soit accordée au vu des pertes de production (sucre, produits dérivés et bioéthanol). Une petite filière, l’apiculture, gravement impactée par l’emploi des néonicotinoïdes (et d’autres stresseurs…) peut compatir à ce désarroi. La même « petite » filière peut aussi pâlir de jalousie en voyant le montant annoncé par le gouvernement pour la recherche de moyens alternatifs pour lutter contre les jaunisses de la betterave. Si seulement la moitié de la somme envisagée était prévue pour trouver des moyens de lutte efficaces contre notre « bête noire » : Varroa destructor, ravageur de l’abeille et vecteur de viroses !

Oui ! La demande de dérogation est bien compréhensible. Les néonicotinoïdes sont attendus comme le Messie par les betteraviers, et le plus souvent, dans les communications de leurs représentants ou instituts techniques (France-Belgique), la seule voie d’exposition à craindre pour les insectes butineurs serait le butinage floral, possibilité écartée d’emblée puisque les betteraves sucrières sont récoltées en première année de culture, donc avant leur floraison**. Selon les mêmes structures, les risques liés à la guttation, quand ils sont évoqués, sont minimisés attendu que (soi-disant) cette voie d’exposition est assez réduite sur betterave (le maïs serait le champion toutes catégories pour la guttation !). Dans les mêmes communications, il n’est pratiquement jamais question de butinage d’exsudats. Pourtant, pour le puceron vert du pêcher, très polyphage et principal vecteur des jaunisses, des études de résistance aux néonicotinoïdes ont été conduites et ont mis en évidence des populations résistantes***. Que penser d’une éventuelle résistance de ce puceron sévissant sur betteraves et produisant des exsudats ?
On le sait, des exsudats sont recherchés et récoltés par les abeilles sur betteraves.

Sont également minimisés, voire oubliés, les risques de contamination environnementale ainsi que ceux causés à la biodiversité**** et à la santé humaine.

Depuis la loi Biodiversité de 2016 interdisant l’usage des néonicotinoïdes en Europe et établie après examen de bases scientifiques sérieuses, il ne se passe pas une semaine sans qu’une nouvelle publication vienne ajouter une contribution allant dans le sens de l’interdiction de ces substances.

Cette marche arrière est difficilement admissible !

Jean-Marie Barbançono, Président de la FNOSAD-LSA

*  La possibilité d’accorder des dérogations par les États membres est prévue dans les textes réglementaires de l’interdiction de l’usage des néonicotinoïdes.
**  Leur floraison se produit en deuxième année de culture.
***  Lire : http://draaf.nouvelle-aquitaine.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/Myzus_Pecher_neo_2013_Vf4-3-juin2014_cle46af41.pdf
Extrait du résumé de l’article : « Sur les 113 individus testés, 18,6 % se sont avérés homozygotes sensibles, 27,4 % homozygotes résistants et 54 % hétérozygotes. »
****  En France, suite à l’application de la loi biodiversité de 2016, les néonicotinoïdes tueurs d’abeilles sont interdits depuis le 01/09/2018.